C'est à leur manque prétendu d'exercice physique que les élèves des classes préparatoires de lettres se sont vus affublés par leurs homologues matheux du doux nom de « cagneux ». Comme si l'étude prolongé du latin et du grec provoquait nécessairement un rapprochement disgracieux de leurs genoux. « C'était aussi un jeu érotique, car les filles, majoritaires dans les classes littéraires, étaient confrontées aux garçons des classes scientifiques », confie cet ancien Khâgneux. D'un vulgaire « cagneux » compréhensible par le plus grand nombre, les élèves ont eux-mêmes modifié l'orthographe de leur sobriquet à la fin du XIXe siècle. À la mode pseudo-grecque, ça fait beaucoup plus savant. Le Robert, lui, a l'outrecuidance de proposer une origine « de cagne, paresse, par ironie », une explication qui n'agrée pas à tous les anciens Khâgneux. Aujourd'hui, un ancien Khâgneux, maire de Lyon, Gérard Collomb, va célébrer au lycée du Parc à Lyon, les cent ans de la Khâgne lyonnaise, créée en 1901 et confiée à Édouard Herriot, alors professeur de rhétorique et futur maire de Lyon. Les Les lycées publics Édouard Herriot et du Parc accueillent de nos jours les très officielles « classes préparatoires de lettres de première année » (Hypokhâgne) et de « seconde année » (Khâgne) enseignées jusqu'en 1999 à La Martinière et jadis à Ampère. Sélectionnés sur dossiers pendant leur année de terminale, les élèves, en très grande majorité des filles, plancheront ensuite pendant deux ans sur les lettres, la philosophie mais aussi l'histoire et la géographie, les langues, l'économie, et même les mathématiques, en fonction de l'École Normale Supérieure briguée (Ulm-Sèvres, Lyon, ex-Fontenay-Saint-Cloud, et Cachan). Les résultats de Lyon ? Si Henri IV et Louis-le-Grand raflent en moyenne les ¾ des places, les lycées lyonnais se débrouillent. Avec quelques admis par an. Ces élèves, devenus fonctionnaires et rémunérés, devront ensuite réussir durant leurs trois années à l'Ecole les concours du CAPES, mais surtout de l'agrégation, obtenue en moyenne à 95%. Depuis quelques années, il est également possible de présenter par la voie littéraire les concours des écoles de commerce.
Des établissements privés lyonnais ont aussi des Khâgnes : les Maristes et Saint-Marc. Les années passées à la Khâgne ne sont jamais perdues : ceux qui échouent aux concours obtiennent des équivalences à l'université leur permettant d'intégrer directement la licence, voire la maîtrise en cas de réussite à l'admissibilité dans une Normale Sup ou s'ils redoublent leur classe préparatoire de deuxième année.
S.M.
Le Progrès de Lyon Édition du 15 décembre 2001.
Anciens élève ou professeurs, la khâgne lyonnaise a ses célébrités, parmi lesquelles Jean Guitton, philosophe représentant la pensée catholique contemporaine, Vladimir Jankélévitch, philosophe connu pour ses ouvrages sur la mort, Jean Lacroix, philosophe, Michel Zinc, professeur au Collège de France, François Berard, professeur à l'université Lyon 2 et spécialiste de l'épigraphie lyonnaise, Christophe Barbier, directeur adjoint de la rédaction de L'Express, Jean-François Revel, essayiste et journaliste français, Jean-Marie Domenach, écrivain, Éric-Emmanuel Schmitt, romancier, essayiste et auteur de pièces de théâtre, Marc Lambron, romancier, Albéric de Laverné, ancien maire du second arrondissement de Lyon et conseiller général, Jacques Soustelle, spécialiste des civilisations pré-colombiennes et homme politique, Pierre Boutang, philosophe et romancier, Louis Althusser, philosophe, Jeannette Colombel, écrivain et philosophe, Victor-Henri Debidour, professeur de lettres classiques et grand traducteur d'Aristophane. Gilbert Dru, avec l'aide d'un père du scolasticat jésuite de Lyon, a édité clandestinement de 1940 à 1944 vingt-quatre numéros des Cahiers du Témoignage Chrétien, fondement d'un réseau de résistance de la Zone Sud. Gilbert Dru a été arrêté par la Gestapo, torturé et exécuté sans avoir parlé.
Le Progrès de Lyon Édition du 15 décembre 2001.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même. C'est le Conseil des Parents d'élèves du lycée Louis-le-Grand, version FCPE, qui avait listé à son propre usage les abréviations et vocabulaires des classes « prépa ». Comprenez les classes préparatoires.
Glossaire ou bestiaire, on hésite devant ce pré carré de la sémantique. Certains vous diront que ce n'est pas pire que le bréviaire du cheminot, la bible du maçon, ou les mots-clefs des imprimeurs. Mais le savoir se confondant avec le pouvoir... Les mots pour initiés ne joueraient pas tous dans la même cour. Alors, doute affreux, en employant un vocabulaire, dont elle garde les clefs, cette élite continuerait-elle à se parler à elle-même ?
Ainsi, commençons par « fastoche » : quand on vous dit une khâgne, voire une hypokhâgne, vous êtes censés savoir immédiatement que ce sont les classes préparatoires littéraires à « Normale Sup' », Normale Sup' étant bien entendu l'École Normale Supérieure. Depuis Fernand Raynaud, on sait heureusement que Maths' Sup' signifie simplement maternelle supérieure. Et qu'un cagneux, devenu Khâgneux « pour faire grec » n'a rien d'un Dugenou...
Ainsi quand on vous dit que le jeune Blaise est « Khûbe », à ne pas orthographier « cube », ne croyez pas que son anatomie ait une géométrie ou un volume particulier, pas plus qu'il ne fasse « mumuse » avec un jeu bien connu ou que, plus culturellement, il ait été frappé de plein fouet par la métamorphose picturale du cubisme. Que nenni. Le Khûbe n'est que l'étudiant qui redouble — le vilain mot — sa Khâgne pour (re)tenter l'entrée à Normale Sup'. Et si le bougre persiste après échec et mat, on dit alors qu'il « bikhâte ». Dans la même veine, sachez qu'une première année est un « Khârré », ou un... « carré » ce qui évidemment est moins dense qu'un cube, mais tout aussi désespérant de rectitude.
Et si vous voulez en jeter plein la vue, mathématiquement vôtre cette fois, sachez qu'un Khûbe équivaut à un « 5/2 » des Taupins. L'équivalent du carré étant le « 3/2 ». Et si vous posez 2, et en retenez « X », comme on dit à Polytechnique, vous obtiendrez un « piston », soit un élève de l'École Centrale. Mais comme vous ignorez sans doute, pauvre aveugle, ce qu'est le « Taupin », sachez qu'il s'agit ni plus ni moins de l'élève de la « Taupe », la pauvre bête désignant les classes prépa de Maths Sup.
De mon premier à mon tout, le lexique complet se promène même sur internet pour plus amples renseignement sur cette curieuse animalerie. Mais au fait, de la Taupe au Khûbe, qui a dit que la souris avait accouché d?un mammouth ?
M.G.
Le Progrès de Lyon Édition du 15 décembre 2001.
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